Les Histoires qu’on porte : Chatouiller les profondeurs

L’artiste Caroline Boileau a été invitée par Présâges à jouer un rôle bien particulier dans la série d’ateliers et de conversations Les Histoires qu’on porte. Elle partage avec nous le désir de stimuler de nouvelles réflexions à propos du sens de vieillir au Québec et nous aidera en rédigeant des chroniques sur notre site web, parfois accompagnées de créations en tout genre.

  • Caroline Boileau travaille à partir d’une position féministe, avec un intérêt marqué pour la santé – intime, publique, sociale et politique. Elle crée des œuvres, souvent hybrides, qui s’élaborent par une pratique multidisciplinaire à travers l’installation, le dessin, la vidéo et la performance. Le corps hybride, les multiples représentations du corps – et celui de la femme en particulier – sont des thèmes récurrents dans sa recherche, inspirée par l’histoire de l’art, l’histoire de la médecine, des sciences et aussi de l’actualité. Depuis 1995, elle a participé à plusieurs résidences au Canada et en Europe. Son travail a été présenté lors d’expositions au Canada, aux États-Unis, au Brésil, en Belgique, en Espagne, en Autriche, en Finlande, en Norvège et en Suède. Elle est présentement artiste en résidence à la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur la réappropriation de la maternité.

    www.carolineboileau.com

Le 1er juin dernier, nous invitions quelques complices de longue date à un atelier expérimental afin d’initier Les Histoires qu’on porte. Nous leur avons présenté des cartographies sociales telles que Le(s) Chemin(s) de vie et avons pris le temps d’y réfléchir et de partager en quoi ça nous faisait cheminer individuellement. Caroline était de la partie et voici sa première chronique accompagnée d’une œuvre à l’aquarelle :


Chronique de Caroline Boileau

11 juillet 2022

J dit : vieillir n’est pas la même chose pour tous et toutes ; nous n’avons pas les mêmes réflexions ni les mêmes impératifs ; il y a toujours cette tension entre précarité et stabilité.
M réplique : faut que ça soit gratuit, vieillir !
S demande : vivre gratuitement, ça veut dire quoi, au juste ?

L’atelier Les histoires qu’on porte nous réunit au Centre Saint-Pierre dans le Centre-Sud. Nous sommes assis en cercle, la plupart des personnes se connaissent déjà. Je suis à la fois heureuse d’être présente et consciente d’être comme un cheveu sur la soupe. Les sourires chaleureux me rassurent.

 S a dit que l’art et les artistes servent à chatouiller les profondeurs…on verra bien.

Nous démarrons la matinée avec la métaphore de l’autobus, proposée par S pour discuter de la complexité de chaque personne, des ambivalences vécues au quotidien. Cette image de corps multiples me renvoie à mon travail en dessin où je revendique l’hybridité et les états troubles. Assise en cercle parmi le groupe, je m’amuse à imaginer tous ces êtres, toutes ces personnalités qui m’habitent et qui sont présents dans mon autobus : la femme, l’amoureuse, l’artiste, la mère, la fille, l’aidante naturelle, la sœur, l’amie, la bénévole, l’enseignante, la chercheuse, la déterminée, la peureuse, l’anxieuse, l’optimiste, la rêveuse… Qui parle ? Qui regarde ? Qui a peur ? Qui n’est pas d’accord ? Qui laisse les autres décider de tout ? Qui se dispute le volant ? Qui mériterait d’aller s’assoir à l’arrière pour réfléchir un peu ?

La métaphore de la plage, explorée ensuite, me chavire. Trois niveaux d’eau, trois niveaux de conscience, trois niveaux d’action à explorer en lien avec le vieillissement. En premier lieu, agiter l’eau en surface renvoie à une réforme douce, à un statu quo imbibé de bonnes intentions où l’on souhaite, par exemple, une façon unique de bien vieillir pour tous et toutes. Ensuite, agiter l’entre-deux eaux renvoie à une réforme radicale en proposant des perspectives multiples, en multipliant les façons de vieillir.  Enfin, agiter l’eau et la vase du fond propose de remettre en question notre rapport au vieillissement et aux enjeux qui nous affectent tous et toutes, comme la crise climatique et l’écoresponsabilité, par exemple. Comment s’imaginer vieillir de façon responsable ? Comment oser aller remuer la vase tout au fond pour transformer la surface (trop) calme ? Jusqu’où brasser les choses ? Comment se poser des questions difficiles, sans peur et a priori ?

Femme, artiste, mère et fille, à l’aube de la cinquantaine, le vieillissement occupe beaucoup d’espace dans ma tête et de plus en plus d’espace dans mon corps, à travers toutes ces petites choses que je ne peux plus faire exactement comme avant et dans tout ce dont je dois apprendre à faire autrement. En parallèle, depuis quelques années, j’accompagne mes parents dans la vieillesse et aussi, malheureusement, dans la maladie. J’espérais toute autre chose pour eux, une vieillesse plus sereine et moins douloureuse. J’apprends lentement à les accompagner du mieux que je peux, avec le temps que j’ai et en respectant mes propres limites. Cet équilibre est précaire. Jusqu’où les aider ? Comment les soutenir au mieux sans me bruler complètement ? De quoi ont-ils envie ? De quoi ont-ils besoin ? De quoi aurai-je envie ? De quoi aurai-je besoin ?

La tête très pleine et de retour à l’atelier, j’essaie de traduire ce que je ressens suite aux exercices explorés avec le groupe. Je me rappelle un dessin réalisé il y a quelque temps déjà et cette image s’impose : un corps-foule qui s’agite et tempête, un corps-multiple qui revendique trop de choses à la fois, un corps cacophonie où toutes les voix demandent à être entendues.

C propose un corps-torrent où ça brasse fort !

 

Corps-torrent, Caroline Boileau


Présâges tient à remercier Caroline de cette contribution.
Nous avons hâte de poursuivre cette plongée!

Consultez la page En mode laboratoire pour connaître
la programmation les Histoires qu’on porte.

 
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